On nous a tellement martelé qu’il faut souffrir pour créer, et en baver pour être un génie authentique !
On nous a tellement planté dans le crâne, comme le « drapeau noir » du spleen baudelairien, que la profondeur de pensée réside dans le drame. Que les pleurs du poète sont sacrés. Que, comme l’écrit Musset en trempant sa plume dans ses larmes, « les chants désespérés sont les chants les plus beaux ». Que la mélancolie, la désespérance, incarnent des sentiments nobles, tandis que le comique laisse éclater sa vulgarité dans les rires. Et puis les Romantiques nous ont appris que c’était « so cool », quand on était ado au 19ème siècle, de s’adonner au « vague des passions » avant même d’avoir vécu, et de choisir pour ses études la filière « suicide » !
Pourtant, il existe tant de contre-exemples de chef- d’oeuvres joyeux !
L’ouverture de la Flûte enchantée de Mozart, la Volière du Carnaval des animaux de Saint-Saëns, le fameux « Que ma joie demeure » de Bach, et tant d’allegros qui vous emportent l’âme dans un galop joyeux… Du côté des « classiques » de la littérature : les comédies d’Aristophane et les Satires de Juvénal, les farces du Moyen-Age, les pièces de Molière, Gargantua, Don Quichotte, Candide, Jacques le fataliste, Tartarin de Tarascon, Bouvard et Pécuchet, Zazie dans le métro… Freud et Bergson ont théorisé sur le rire, Jankélévitch a philosophé sur l’ironie, Dario Fo a brillamment exposé et défendu Le Gai Savoir de l’acteur… Notre oeil se délecte du jardin des Délices de Bosch, des portraits en fruits et légumes d’Arcimboldo, de la poésie absurde de Max Ernst, Magritte, Dali… Et j’écris ce paragraphe en laissant glisser mes mots sur la « basse continue » du Canon de Pachelbel, chef-d’oeuvre de légèreté, grâce et volupté…
Selon les esprits chagrins, la joie marquerait notre indifférence aux malheurs d’autrui…
L’esprit chagrin culpabilisateur : Quoi ? Tu t’autorises à être heureux, tu oses chanter et te montrer gai comme un pinson, avec tous les événements terribles qui se produisent dans le monde ?
Moi : Tu ne t’es jamais dit que c’était l’inverse ? Et que justement, puisque nous avons la chance extraordinaire et prodigieuse, en cet instant – car tout est si précaire ! – d’être épargnés par ces malheurs, c’est à nous, qui en avons encore l’énergie et la force, de préserver, porter, incarner la Joie, et montrer la voie de la félicité à nos frères humains ? « Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple ». Jacques Prévert.
quel bel article ! juste et touchant. j’aime beaucoup que ma joie demeure de bach. d’ailleurs une version jazz très chouette de ce morceau
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Alors… que notre joie demeure ma chère myrtille ! 🙂 je vais chercher cette version jazzy… des bises !
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c’est celle de Jacques Loussier ? 😘
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Noté, merci !
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